Je pourrais vous écrire de l’attentat sur Charlie Hebdo, mais tout le monde fait ça déjà donc je vais vous raconter quelque chose d’autre. J'ai appris ça vers midi, j'étais atterré. Quand les noms sont tombés, c'était pire. Charb, Wolinski, Cabu, Tignous... Tous les autres, mais pas Tignois. Je veux vous apporter mon témoignage, Tignous était mon ami. Moins connu que ses trois compagnons d’infortune, Tignous n’en possédait pas moins un talent très apprécié. S’il était moins connu, c’est sans doute aussi parce que celui qui s’appelait, en vrai, Bernard Verhlac, possédait un style moins trash qu’un Charb, pour ne prendre que lui.

Plus sensible, plus fin, Tignous n’hésitait pas à s’attaquer aux sujets sensibles, avec une prédisposition pour le grand capital, qu’il moquera à plusieurs reprises dans des albums. Dans la foulée des figures tutélaires du journal, il sera aussi de ceux qui n’épargneront jamais Mahomet au travers de dessins irrévérencieux. mais souvent très subtils, qui le voyaient manier un humour absurde.
Je étais une étudiante quand j’ai rencontré Tignous pour la première fois, il y a déjà quelques années, le privilège d'illustrer tous les textes que j’écris pour mon site. C'est Charb qui nous avait présenté à une session d’autographes dans le musée des bandes dessinées et je dois dire que Tignous a immédiatement fait une impression inoubliable.
Bernard, de son vrai prénom était l'homme le plus pacifique qu'il m'ait été donné de connaître. Il avait une spontanéité et une douceur d'adolescent. Tignous était passionné par son métier et ne pouvait s'empêcher de dessiner. Mais ce n'était pas seulement un excellent dessinateur, c'était un journaliste, un homme d'une intelligence remarquable doté d'une vivacité d'esprit avec un sens aigu de la dérision, et un vrai talent à fabriquer des "vannes".
Avec ses feutres pour seules armes, il refusait d'être qualifié : "Je ne sais pas si je suis un dessinateur de gauche. Je me réclame plutôt de valeurs comme celles des Droits de l'homme ou de la Révolution." Capable de s'insurger "si Hollande fait les mêmes conneries que Sarko", Tignous se voulait en colère contre un monde. "Souvent, je me sens blessé par ce que font les politiques, le clergé et les riches. Et ce que je dessine alors, c'est de la légitime défense". C’était la seule manière à laquelle il pouvait se défendre, moi au contraire j’étais beaucoup plus violente.
Lorsque j'ai écrit mon plaidoyer pour le parlement scolaire, en faveur des punitions plus sévères pour des crimes sexuelles, il faisait les illustrations à côté de moi, de façon simultanée, pendant que je lui expliquais ce que je voulais dire dans tel ou tel parti de mon texte, et lui expliquais quels étaient les messages que je voulais faire passer.
C'était incroyable! Ses dessins produisaient instantanément l'émotion que je visais, c'était incroyable il avait la sensibilité humaine au bout de son feutre. Sa réactivité et sa créativité me sidéraient. Les illustrations qu'il a faites pour ce plaidoyer ont donné la dimension que je visais à savoir dédramatiser un sujet si sensible.
Tignous, était un dédramatiseur d'événements. Il est mort en essayant de toujours dédramatiser des faits des événements, tués par des gens qui ne connaissent pas la dérision et encore moins l'humour, dans une injustice immense. Il me manque déjà terriblement en tant qu'ami, et je sais que son regard et sa plume vont manquer à de nombreuses personnes, mais pas comme à moi. Il était l’ami avec qui je pouvais toujours discuter de nombreuses sujets d’actualité et qui me donnait son avis sur mes textes avant de le publier.
A ce moment je ne sais pas si je vais continuer avec ce site. Je n’ai que perdu un homme extraordinaire, mais aussi le dessinateur des cartoons qui accompagnaient mes textes. Je pense que je ne peux pas voire mes textes sans ses dessins en savant que je ne le reverrai jamais. Alors c’est adieu pour maintenant. J’espère que nous avons toujours vous faire rire et penser. Evidemment on rira encore pour les bêtises comme des enfants, mais pas comme avant. Jamais comme avant...